lundi 28 février 2011

Trop de mails : dangereux pour la santé ? Il est plus facile de prôner la suppression des technologies asynchrones que de s’attaquer au flux tendu, à l’inflation d’indicateurs ou au reporting permanent

Beaucoup de salariés, et en particulier des cadres, ressentent ce que l’on appelle la surcharge « communicationnelle » (nombre de données liées à la communication) et la « surcharge informationnelle » (liée au nombre de données mises à la disposition du salarié), sources de stress pour les salariés et de perte de productivité pour les entreprises. C’est pourquoi deux initiatives récentes chez Canon et chez Atos Origin, concernant la gestion de l’ « infobésité », attirent l’attention : elles ont pour objectif de diminuer ou de même de supprimer l’usage de la messagerie électronique, technologie dite « asynchrone » car la réponse peut ne pas être immédiate. L’idée est de développer les technologies « synchrones », qui exigent à toute question une réponse immédiate, du type téléphone ou messagerie instantanée en faisant l’hypothèse que les messages seront moins nombreux – pas de copies- et moins longs - car le dialogue doit faciliter les solutions immédiates.

Conditions de travail et TIC : vers le ping pong permanent avec la suppression des technologies asynchrones ?

Certes le courriel est très chronophage, mais il autorise encore un tout petit espace de liberté dans cette jungle informationnelle : le récepteur n’est pas sous la pression permanente de l’émetteur du message et peut hiérarchiser ses priorités et prendre un certain temps – même s’il est souvent très court – pour répondre. Il lui reste une impression de travailler à son rythme …
Favoriser les technologies synchrones est-ce une bonne solution ? Pas sûr, car les risques de ce type de communication qui exige des réponses immédiates sont bien connues : travailler sous contrainte de temps induit moins de réflexions, plus de pression et plus de stress. Seuls ceux qui préfèrent le ping pong au bridge ou aux échecs seront avantagés. Mais les champions de tennis de table ne jouent pas en compétition 8 heures par jour et 200 jours par an pendant 42 ans…

Journée sans mail chez Canon : téléphonez !
 « Article 17 : La réception de nombreux mails ayant été identifiée comme l’un des facteurs de stress, Canon France s’engage à initier trimestriellement une “journée sans mail“ à visée pédagogique ». 
C’est en analysant les conclusions d’une étude sur les conditions de travail, réalisée à la demande des organisations syndicales, que la direction de Canon France a publié une « charte pour redécouvrir le travailler mieux » instituant, entre autres dans son article 17, cette « journée sans mail » dont la première a été organisée le 3 décembre 2010. L’étude a montré que chaque salarié traitait 5 750 mails par an soit 25 à 30 par jour.
La direction a aussi diffusé  un document intitulé « 10 règles d’or du bon usage de la messagerie électronique » dont la règle n°1 est la suivante : « Un simple appel téléphonique peut souvent remplacer un mail : parler ou encore mieux, lorsque c’est possible, aller voir son interlocuteur permet incontestablement de rendre l’échange plus chaleureux, et bien souvent plus efficace ».(Voir communiqué de presse du 9 décembre 2010)

« Echange plus chaleureux ? ». On croit rêver quand on entend un des leaders de l’économie numérique à distance vanter les bienfaits de la proximité !

Zéro mail chez ATOS d’ici 2014
Thierry Breton, le PDG d’Atos Origin, a fixé comme objectif à cette société de services informatiques de devenir une entreprise « zéro e-mail » après avoir constaté qu’un salarié passe entre dix et vingt heures par semaine à lire ses e-mails et à y répondre, depuis l’entreprise ou de chez lui (Voir : communiqué de presse du 7 février 2011). En 2010, selon lui, les salariés recevaient en moyenne 200 e-mails par jour, dont 18 % étaient des spams. Il espère que, d’ici trois ans, les salariés de la SSII n’utiliseront plus les e-mails pour communiquer en interne, mais se serviront des messageries instantanées, des microblogging (Twitter, …),  des réseaux sociaux (Facebook,…), de services collaboratifs (Office communicator, …)  et de plates-formes communautaires.
Le discours chez Atos est plus clair que celui de Canon : on ne parle pas de convivialité, mais de productivité. On n’en est plus à « Tournez sept fois votre langue avant de répondre », ou « Laisser du temps au temps », ou « Réfléchissez » ou même à la société de l’impatience, mais à la société du zéro délai « Répondez n’importe quoi, mais vite ».

Des solutions trop limitées : changer les technologies ou changer l’organisation ?

Réfléchir aux dangers de la messagerie ne manque pas d’intérêt : mais n’est-il pas au moins aussi important de se reposer des questions sur la détérioration des conditions de travail provoquées par les excès du flux tendu, du reporting permanent et de l’inflation des indicateurs cherchant à contrôler en détail l’activité et les résultats de chaque salarié en tout lieu et à toute heure ?