dimanche 20 décembre 2009

Les risques d’exclusions induites par le forcing pour imposer le télétravail

Dans notre précédente chronique du 7 décembre 2009 nous avons parlé du « forcing au télétravail »; aujourd’hui nous allons réfléchir aux risques d’exclusion induites par ce forcing si l’on veut faire télétravailler tous les salariés occupant des emplois « télétravaillables ». Nous n’aborderons pas l’exclusion par les TIC qui est un autre problème que nous avons déjà largement traité (« Halte aux absurdités technologiques » aux Editions d’Organisation)

Parmi les grands risques d’exclusion qui nous semblent liés à ce forcing, on trouve la situation de famille.

Télétravail salarié à domicile = télétravail de la famille

Le travail à domicile de la télétravailleuse ou du télétravailleur doit être accepté par les autres membres de la famille. Or tous les salariés n’ont pas une famille disposée à accepter leur présence physique permanente, conjuguée à une indisponibilité de fait liée à l’activité professionnelle : « Tu es là, mais tu travailles… »..

Il faut à la fois un emploi "télétravaillable" et une famille "télétravail-compatible"

Tous les salariés n’ont pas une famille (conjoint, mais aussi enfants et adolescents, …) prête à « négocier » les modalités de cette nouvelle organisation.

Cela risque d’induire que ces salariés seront exclus des « emplois télétravaillables » (50% des emplois selon le rapport « Le développement du télétravail dans la société numérique de demain », écrit pour le CAS - Centre d’Analyse Stratégique). Il est intéressant de constater que selon les premiers résultats de l’enquête que nous menons actuellement auprès des télétravailleuses et des télétravailleurs salariés (http://teletravail.enquete.free.fr/) une proportion importantes des salarié(e)s qui télétravaillent sont soit seuls au foyer soit en couple sans enfant, … situation qui simplifie la « négociation ».

Il y a évidemment d’autres risques d’exclusion si l’on accélère sans précaution le développement du télétravail (augmentation du temps et de la charge de travail, gestion par objectif ; dictature des indicateurs chiffrés, capacité d’autonomie, rapport de confiance à l’entreprise …) sur lesquels nous reviendrons.

D’accord ou pas d’accord avec notre analyse, si vous ne l’avez pas encore fait, participez largement à notre enquête en ligne sur le télétravail (http://teletravail.enquete.free.fr/).
Invitez, SVP, les autres télétravailleuses et télétravailleurs à y participer aussi.

lundi 7 décembre 2009

Nouveau forcing pour le télétravail

Le rapport « Le développement du télétravail dans la société numérique de demain », écrit pour le CAS (Centre d’Analyse Stratégique) est un document très complet et très intéressant qui aborde tous les aspects du télétravail.

Un nouvel hymne au développement du télétravail

Il n’a qu’un défaut, mais il est d’importance : c’est un nouvel hymne au développement du télétravail. Tout le texte, d’ailleurs plus que les propositions finales, insiste lourdement sur les vertus du télétravail et la nécessité, pour la France, de rattraper « le retard »…

Dès la première page le ton est donné : « Dans de nombreux domaines, le télétravail présente des avantages importants : il améliore les conditions de travail des salariés et la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle; il contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre; il bouscule les modèles organisationnels et managériaux obsolescents; il favorise l’accès à l’emploi des populations exclues du marché du travail, contribuant de ce fait à l’inclusion sociale; il permet de réduire les impacts sanitaires de la pollution dans les centres urbains… ».

Mais la démonstration de toutes ces affirmations, qui reprennent les traditionnels discours pro-télétravail (entreprises fournisseurs de TIC ou télétravailleurs militants), n’est pas apportée dans les pages suivantes, et pour cause puisqu’il est dit en conclusion qu’il serait nécessaire de disposer d’ « une meilleure connaissance des gains envisageables grâce au télétravail …».

Le télétravail n’est qu’un type d’organisation du travail parmi d’autres et le rapport est incapable de justifier pourquoi les pouvoirs publics devraient favoriser, y compris par des aides financières, cette organisation plus que les autres. Il pousse implicitement le lecteur à conclure que les chefs d’entreprises, les managers et les salariés français sont les seuls à ne pas encore en avoir compris tous les avantages !

Société idéale = télétravail largement répandu

Or en insistant sur le fait que «Le télétravail pourrait concerner jusqu'à 50% des emplois en 2015, contre 30 % aujourd'hui », le rapport sous-entend que la société idéale serait la société dans laquelle tous les emplois « télétravaillables » devraient être tenus par des télétravailleurs. C’est pourquoi un certain nombre d’articles de presse ont titré «Le télétravail pourrait concerner jusqu'à 50% de la population active en 2015».

Les dangers du forcing pour le télétravail

Deux exemples parmi d’autres montrent les limites, et parfois le danger, de ce forcing visant au développement à tout prix du télétravail.

Premier exemple. Il est dit et répété que le télétravail contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est loin d’être toujours vrai : les premiers résultats de l’enquête que nous menons actuellement auprès des télétravailleuses et des télétravailleurs salariés (http://teletravail.enquete.free.fr) font apparaître que plus de 30% d’entre eux ont déménagé d’un appartement vers une maison individuelle à l’occasion du passage au télétravail. En moyenne, le temps de trajet domicile/entreprise a plus que doublé : les trajets sont moins nombreux mais beaucoup plus longs. Quant à la consommation d’énergie induite par le travail dans une maison individuelle, il n’est pas certain qu’elle soit moindre que celle nécessaire au chauffage d’un bureau d’entreprise.

Deuxième exemple. Il est dit et répété que le télétravail améliore la qualité de la vie. C’est ce que confirme aussi la très grande majorité des premières réponses à notre enquête. Mais, « tous les télétravailleurs sont satisfaits de télétravailler » ne veut pas dire que tous les salarié(e)s aimeraient télétravailler. « Toutes celles et tous ceux qui font du ski aiment la montagne » ne veut pas dire que tout le monde aimerait passer leurs vacances à la montagne et qu’il faut les y obliger.

C’est pourquoi le forcing en faveur du télétravail a pour conséquence des risques d’exclusion. Même, et surtout, si nous aimons le télétravail, il nous faut être lucide : tous les salarié(e)s ne VEULENT et ne PEUVENT pas télétravailler. C’est sur ces risques d’exclusion, et sur la notion de « retard », que nous reviendrons dans nos prochaines chroniques.

D’accord ou pas d’accord avec notre analyse, si vous ne l’avez pas encore fait, participez largement à notre enquête en ligne sur le télétravail (http://teletravail.enquete.free.fr)

lundi 5 octobre 2009

Enquête 2009/2010 sur les effets REELS du télétravail

Cette enquête 2009/2010 est la première étude française sur les conditions de travail et de vie des télétravailleuses et télétravailleurs. Elle se propose d'écouter et analyser ce que disent et pensent les salariées et salariés qui ont une expérience RÉELLE du télétravail à domicile (au moins un jour par semaine). Elle doit permettre d'échapper aux discours caricaturaux des « pro » et des « anti » télétravail en essayant de mettre en valeur les différences entre fantasmes et réalité.

* Le télétravail améliore-t-il vraiment votre qualité de vie collective? Le questionnaire vous permet de donner VOTRE AVIS sur les 4 familles de critères grâce auxquelles on évalue traditionnellement un facteur de "développement durable": critères sociaux, sociétaux, environnementaux, économiques.

* Le télétravail améliore-t-il vriament votre qualité de vie individuelle? Le questionnaire vous permet de donner VOTRE AVIS sur les effets sur la fatigue, le stress, le plaisir et la santé

* Le télétravail constitue-t-il vraiment un "rempart" contre la pandémie grippale?

Cette enquête est réalisée par l'OBERGO (OBservatoire des conditions de travail et de l'ERGOstressie) en vue de la rédaction d'un guide formulant des propositions aux salarié(e)s et aux entreprises pour organiser et réussir le télétravail.

Donnez votre avis en participant à cett enquête sur http://teletravail.enquete.free.fr/

lundi 22 juin 2009

Loi sur le télétravail du 9 juin 2009 : une loi nécessaire … mais moins rassurante pour les salariés que l’accord national de 2005

L’Assemblée Nationale a adopté le 9 juin 2009, en première lecture, un texte sur le télétravail qui doit faire l’objet de débats au Sénat en octobre 2009.
Pour la première fois le code du travail va comporter, quand la loi sera définitivement adoptée, des éléments concernant le télétravail, sujet totalement ignoré jusqu’alors dans ce code.

Ce texte de loi se caractérise :

• sur la forme : il est très court et n’est qu’une partie d’une loi plus générale « pour faciliter le maintien et la création d’emplois » (3 articles sur 13). Visiblement pour les députés le télétravail n’est pas une révolution…

• sur le fond : il reprend les grandes lignes de l’accord national interprofessionnel sur le télétravail (ANI télétravail) signé par les partenaires sociaux le 19 juillet 2005 . Il envisage aussi une diffusion du télétravail dans l’administration, mais sans en définir les modalités.

Cette loi donnera enfin un statut juridique incontestable au télétravail permettant de rassurer les entreprises et les salariés voulant mettre en place ce type d’organisation du travail.

Mais elle est beaucoup moins précise que le texte de l’accord national de 2005 sur un certain nombre de protections concernant le télétravailleur:

* Elle ne prend pas en compte explicitement les travailleurs « nomades »
* Elle n’aborde ni les problèmes de période d’adaptation, ni les problèmes de santé, ni les problèmes de formation, ni les problèmes de charge de travail, …
* Elle ne parle pas des droits collectifs : en particulier n’est pas mentionnée la nécessité d’informer et de consulter le comité d’entreprise comme le prévoyait l’accord national.

Il faut regretter surtout que cette loi ne reprenne pas une disposition très importante de l’accord : « Les télétravailleurs sont identifiés comme tels sur le registre unique du personnel ». Pourtant seule cette identification permet une totale transparence sur l’importance du télétravail dans l’entreprise et de faire diminuer le télétravail « sauvage » ou « gris » (c'est-à-dire non explicitement reconnu par un contrat ou un avenant) au profit du télétravail négocié.
Cela dit, cette loi ne supprime pas l’Accord National sur le télétravail et les salariés et leurs représentants, dans les entreprises couvertes par l’accord (qui a déjà fait l’objet d’un arrêté d’extension le 30 mai 2006) peuvent toujours s’appuyer sur cet accord.
On trouvera une anlyse déytaillée de cette loi, article par article, sur mon site http://www.ergostressie.com

lundi 6 avril 2009

Les limites des économies de temps

Argument n°2 des défenseurs du télétravail salarié: moins de déplacements, donc économie de temps et moins de stress

La réduction du nombre de déplacements du salarié présentent de nombreux avantages tant sur le plan social que pour les économies d’énergie. Mais cette réduction n’est pas toujours aussi importante que l’on espérait.

Réduction du temps de transports pour le salarié.

« Depuis que je télétravaille, je gagne trois de transports par jour … » ou « … j’évite deux heures de bouchons sur la route … » ou « Maintenant, je me rends chez le client sans passer par mon bureau … ».

Dans la réalité ces gains ne sont pas toujours aussi évidents.

D’une part, la plupart des télétravailleurs salariés viennent dans les locaux de l’entreprise au moins deux jours par semaine pour rencontrer leurs collègues et participer à des réunions. Le respect de cette disposition, prévue dans un grand nombre de contrats de télétravail, évite que le télétravailleur soit coupé de la vie de l’entreprise. Mais cela veut dire que l’économie du temps de transport domicile/travail n’est que de 40% sur une semaine de 5 jours.

D’autre part, un certain nombre de télétravailleurs continuent de faire ce qu’ils faisaient avant, c'est-à-dire se rendre chez le client ou le fournisseur directement en partant de leur domicile. Cela veut dire que les temps de transports sont les mêmes

Réduction du stress lié aux transports et au respect des horaires

C’est un avantage qui peut être important chaque fois qu’il est nécessaire de prendre des moyens de transports et de respecter des horaires (sachant que sont rares celles et ceux qui en qui ne viennent à pied ou en vélo dans l’entreprise). Les pannes et les grèves dans les transports en commun, les embouteillages ou les pannes de voiture sont des sources de tress très importantes que permet de diminuer, en partie, le télétravail.

Evidemment cette diminution est limité aux jours pendant lesquels, le salarié ne se rend pas dans l’entreprise.

D’autre part, le stress du respect des horaires de l’entreprise persiste en grande partie si le télétravailleur doit respecter une « plage de disponibilité » (comme nous l’avons vu dans la discussion de l’argument n°1).

Enfin, ce stress est parfois remplacé par celui lié aux contraintes locales, notamment dans la gestion des entrées et sorties d’école pour accompagner ou aller chercher les enfants.

vendredi 27 mars 2009

Les limites dans le choix des horaires

Argument 1 des défenseurs du télétravail salarié: le télétravail permet plus de liberté pour le salarié dans le choix des horaires

C’est évidemment l’un des arguments les plus forts du télétravail et tous les télétravailleurs satisfaits le citent en priorité.

Mais quand on analyse un peu plus en détail cette liberté on s’aperçoit qu’elle souffre de nombreuses limites :

- Limites dans les rapports avec l’entreprise (hiérarchie, collègues, …)

La plupart des contrats de télétravail déterminent (et doivent déterminer comme nous le verrons dans le modèle de contrat) des « plages de disponibilité » pendant lesquels le télétravailleur doit pouvoir être joint par l’entreprise. Évidemment si cette plage correspond à 100% aux horaires de l’entreprise, il n’y a plus de marge de libertés pour le télétravailleur.

En général, cette plage est de 5 ou 6 heures : par exemple de 9 h à 12 h, et de 14 à 17 h. Ces horaires doivent être négociés, et ce n’est pas facile, si l’on veut pouvoir, par exemple, « aller chercher les enfants à l’école.. ». La possibilité de liaison permanente par Blackberry ou Ipod est rarement suffisante…

- Limites dans les rapports avec les clients

Les clients peuvent imposer des horaires très contraignants aux fournisseurs (heures de visites, de livraison, …)

- Limites dans les rapports avec la famille

Si l’on ne vit pas seul(e), l’interpénétration vie professionnelle/vie privée n’est pas toujours facile à vivre pour toute la famille. Si l’on ne travaille pas dans les horaires « normaux » habituels (par exemple entre 8h et 18 h), cela veut dire que l’on travaille tôt le matin, ou tard le soir, ou le samedi, ou le dimanche. Cette souplesse, satisfaisante pour le télétravailleur sera-t-elle aussi satisfaisante pour sa famille ?

D’autre part, si la charge de travail est trop importante, le temps de travail réel aura tendance à dépasser le temps de travail contractuel plus encore que dans le cas d’un travail traditionnel au bureau

- Limites liées à ses propres aptitudes

Il faut être capable de vivre correctement cette liberté des horaires. D’une part, il faut que le type de métier et d’activité que l’on exerce autorise des horaires que l’on choisit en partie soi-même. D’autre part, il faut être capable d’organiser sa propre activité sans les contraintes permanentes imposées par la hiérarchie ou les collègues.

Toutes ces raisons expliquent pourquoi celles et ceux qui ont déjà beaucoup d’autonomie et de libertés dans le choix des horaires dans une organisation traditionnelle « au bureau » s’adaptent sans difficulté au télétravail. Mais ce n’est pas si facile pour les autres …

mardi 17 mars 2009

Approfondir les arguments pour ou contre le télétravail

On connait bien les arguments des défenseurs du télétravail salarié:

* Plus de liberté pour le salarié dans le choix des horaires
* Moins de déplacements : économie de temps
* Plus de temps libre pour la famille et les activités locales
* Moins de stress lié aux transports
* Moins de stress lié à la pression hiérarchique
* Moins de consommation d'énergie : télétravail = développement durable
* ...

On connait moins les arguments de ceux qui sont opposés au télétravail salarié:

* Le temps de travail a tendance à déborder sur le temps de vie privée
* Plus de stress lié à une charge de travail plus grande car non contrôlable
* Moins de contacts avec la hiérarchie et les collègues
* Moins de participation à la vie de l'entreprise
* Télétravail = première étape vers le licenciement ou l'externalisation
* ...

Nous reviendrons sur chacun de ses arguments dans les prochains jours.

lundi 16 mars 2009

Pourquoi le télétravail ne se développe-t-il pas en France?

Ce blog doit permettre d'échanger, de manière lucide, sur le télétravail en essayant de distinguer, le plus possible, le discours, les fantasmes et la réalité.